Art vécu, art politique, Bien Vivre


Concevons la politique en tant qu’art d’organiser la cité, la
vie en tant qu’œuvre d’art. Art politique, concept des Esprits
Libres au-delà de « faire de la politique autrement » !
Si nous reconnaissons que la politique est l’art d’organiser la cité,
nous entendons que c’est avec art qu’il faut le faire et que ceux
qui le font sont des artistes.
Vivre consiste à faire œuvre d’art de son existence.
Nous considérons la créativité, l’élan vital et créatif en tant que
centralité, remplaçant le furieux productiviste travail, entraînant
l’ensemble de la société.
La cité est conçue comme cité d’art favorisant notre art vécu.
Vision existentialiste, éthique et esthétique des Esprits Libres.
Juger une œuvre !
Mais qu’est-ce qu’une œuvre ?
Une œuvre est certainement un évènement rassemblant :
- Le regardeur,
- la chose regardée,
- l’auteur de la chose regardée, écoutée...
- et le reste... les circonstances, la situation, les témoins, le
moment...
Les quatre protagonistes, regardeur, regardé, auteur et
circonstances constituent l’événement qui fait vivre l’œuvre, qui
fait œuvre. L’auteur, l’artiste, est le créateur de la chose
regardée, de l’objet et, parfois, des circonstances.
Marcel Duchamp nous éclaire : « Je crois sincèrement que le
tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste. »
Dans une performance, chose regardée et circonstances
fusionnent en un concept. L’auteur ne se résume pas à être à
l’origine de la chose regardée. Il est une personne privée ou
publique sur d’autres fronts que celui de la chose en question.
Dans le rapport à l’œuvre, la vie est la fusion du regardeur, du
regardé et des circonstances.
Faire porter sur la chose regardée tous les défauts ou qualités
de l’auteur, c’est la considérer subjectivement, en modifier les133
circonstances, la situation du regard, c’est modifier l’œuvre à sa
subjectivité. C’est une façon d’appréhender.
Dans la façon d’appréhender, de juger une œuvre, on distingue,
plus ou moins, la femme ou l’homme de l’artiste et, plus ou
moins, la femme ou l’homme de ses œuvres.
L’artiste a ses qualités et ses défauts et l’œuvre, les œuvres,
deviennent plus ou moins autonomes lors de leur diffusion.
On peut donc juger une œuvre puis la déprécier, ou l’apprécier
ou non en fonction de ce que l’on apprend de l’auteur.
C’est la liberté de jugement. Libre à chacun de lier ou de séparer
à sa convenance « la femme, l’homme » de l’œuvre ou l’artiste
de « la femme », de « l’homme ».
Mais nul ne peut imposer cette fusion ou cette séparation ou ces
degrés de fusion ou de séparation aux autres. Il y a danger car
le jugement sur l’art n’est pas une affaire de tribunal mais affaire
de pure subjectivité, de liberté de choix individuel.
Ne plus apprécier toutes les œuvres ayant des auteurs au
comportement jugé inadmissible à notre point de vue, mène à un
obscurantisme. Exit Céline, Gide, Picasso, Fernandel, Verlaine,
Charles Trenet, Patrick Font, Claude François, Sacha Guitry...
Pour certains exit Wilde et des milliers d’autres... Chacun
jaugeant à sa morale ce qui est admissible... À ce jeu la volaille
qui fait l’opinion l’emporte à l’avantage de l’ordre moral et des
obscurantismes. Encourager sur la place publique au lynchage,
aux pogroms et à l’autodafé, constitue une impasse dangereuse
et transforme ensuite les coupables en victimes. La justice n’est
pas faite pour les chiens.
L’exemple Polanski
Pour Polanski, un jury machiste et phallocrate a jugé que son film
était « la meilleure réalisation ». Beau jeu de sauter sur
l'occasion pour hurler à la provocation et à la persistance du
patriarcat et du machisme dans les milieux artistiques, mais alors
pourquoi participer à une telle compétition mascarade ?
Pourquoi attendre le résultat pour le contester, pour partir, se
« casser » ? Il eût été préférable de dénoncer et boycotter en
amont et ne pas se retrouver à jouer les mauvais perdants.
Pourquoi à partir de ce fait, une « meilleure réalisation », revenir,
quarante ans plus tard, sur le jugement dont Polanski a fait134
l’objet ? Ce jugement stipulait « actes sexuels illégaux sur une
mineure » et non « abus sexuels sur une enfant ». Il a fait
cinquante jours de prison. D’autres affaires sont en cours avec
des dépôts de plainte. Soit, que la justice suive son cours et
réclamons-le, mais ne la remplaçons pas.
Chaque individu, même le plus ignoble, bénéficie de
la prescription et à droit à l’oubli et, pour ce qui n’est pas jugé, de
la présomption d’innocence.
Si nous supprimions la prescription, nous banaliserions les
crimes contre l’humanité qui eux restent imprescriptibles. Plus
d’échelle des crimes et nous perdons tous une part d’humanité.
Droit à l’oubli indispensable puisque, sans lui, pas de rédemption
profonde et véritable. Nous avons plus à perdre qu’ont à gagner
les criminels. Retenons notre intérêt.
Concernant les victimes, justice doit être rendue pleine et entière,
mais dans la sérénité dans la graduation, dans la prise en
compte des faits et circonstances et non dans l’amalgame.
On remet aussi en cause le consentement qui ne devrait pas
remettre pas en cause l’emprise et le détournement de mineur
mais qui introduit une graduation dans les faits incriminés.
Pour rendre justice, il est important de graduer : avec ou sans
consentement, avec consentement ou opposition des parents,
dans ou hors famille, avec préméditation ou non, avec récidive
ou non... par surprise, par ascendance hiérarchique, par
chantage, par mensonge, de force, avec violence ou viol, avec
blessure ou décès, avec acharnement ou viol sur un cadavre...
Différence entre une liaison « consentie » entre une fille de
presque 16 ans et un garçon d’à peine 18 et l’affaire Dutroux.
Défendre les victimes et pourchasser les coupables, mais les
traiter en humains, en respectant tous les droits humains qui sont
aussi nos droits, un bien commun que nous partageons.
Mettre au pilori n’est pas bon. Victimes, coupables, ont droit à
une justice adaptée. L’humain n’est pas « porc » à balancer par
la délation ou la corde. Un temps, nous emprisonnions Wilde
pour homosexualité. Un autre, Gabrielle Russier se suicidait. Le
nôtre où l’on met à mort des femmes pour adultère et femmes,
hommes, pour homosexualité, transgenres ou autres pratiques135
sexuelles et où le tribunal médiatique ou des réseaux dits
sociaux, souvent réseaux des sots, se substituent à la justice.
L’argument consistant à dire que la justice n’a pas effectué son
travail et qu’il s’agit de prendre sa place ne saurait être retourné
contre l’accusé et à son détriment car c’est la société, nous-
mêmes, qui n’avons pas effectué notre travail.
L’accusé est, peut-être, coupable de son crime, mais pas des
défauts de la justice de tous et il n’a pas à les supporter ayant
déjà souvent fort à faire avec les siens propres.
On s’en prend au coupable pour son crime, on s’en prend à la
société pour les défauts de sa justice. D’autant que, bien
souvent, les coupables sont particulièrement victimes des
défauts de la justice comme avec les conditions déplorables de
détention.
Et si nous suivons la meute, le tribunal médiatique et les réseaux,
l’air du temps, nous perdons de notre justice et de sa sérénité et
nous capitulons devant les passions tristes, nous perdons de
notre humanité, de notre démocratie, de notre équité et de notre
féminité, de notre féminisme !
Toute personne, toute chose en tant qu’œuvre d’art.
Considérons maintenant les idées, les personnes et toutes
choses de la même façon que nous considérons l’œuvre d’art
précédemment, ayant donc le même statut.
« Juger une œuvre, une idée, une personne, autre chose.
Mais qu’est-ce qu’une œuvre, une idée, une personne, autre
chose ? Une œuvre, une idée, une personne, autre chose, est
certainement un événement rassemblant :
Le regardeur, la chose regardée, l’auteur de la chose regardée,
écoutée... les circonstances, la situation.
Les protagonistes, regardeur, regardé, auteur et circonstances
constituent l’événement qui fait vivre l’œuvre qui fait œuvre.
L’auteur, l’artiste, est le créateur de la chose regardée, de l’objet
et parfois, en totalité ou partiellement, des circonstances... »
L’exercice est vertigineux et plus encore si nous le relions à une
autre dialectique concernant la liberté. De nombreux éclairages
s’ouvrent alors dans la pensée ou la réalité complexes.
Pertinence de l’anagramme de LA VÉRITÉ : RELATIVE.
Renforcée également l’intuition antérieure selon laquelle
l’existence elle-même doit être considérée et menée comme une136
œuvre d’art. Comme toute idée, toute personne et toute chose
dont la nature.
Lignée de Duchamp et son ready made qui, prenant une chose
banale, la qualifie au sens fort, lui donne qualité d’œuvre d’art.
Intuition confirmée par l’analyse qui devient une évidence, qui fait
dire à l’un que telle idée est excellente quand son voisin la trouve
calamiteuse, que telle personne n’est pas fréquentable quand
son amie y verra un type bien, que tel objet est inutile quand je
vais le considérer indispensable...
La vérité « anagrammée » relative selon le regardeur, le
regardé, les circonstances...
Oui, l’idée est excellente pour l’un et mauvaise pour l’autre, le
type est réellement un voyou pour l’un et est réellement un brave
type pour l’autre, et l’objet va dans la valise de voyage de l’un et
reste inusité pour l’autre, et ce vin est bon pour l’un et trop fort
pour l’autre. C’est selon.
Exemple de Dieu qui va exister pour les uns dont certains versus
polythéistes. Dieux différents selon les religions et selon chaque
croyant. Dieu qui n’existe pas pour d’autres, qui est mort pour
certains, quand les agnostiques resteront sans jugement et
d’autres encore avec Spinoza assimileront ce concept à la
nature...
Dieu dont le camarade vitamine de Ferré, Bakounine, indique
que s’il existait vraiment « il faudrait s’en débarrasser »
répondant à Voltaire pour qui « s’il n’existait pas il faudrait
l’inventer ».
Idem pour un livre, un film, pour tout, jusqu’à l’existence elle-
même. C’est selon.
Selon, artistes, existentialistes, situationnistes, vitalistes,
stoïciens, épicuriens œuvrent à la belle sagesse tragique à la
façon de voyager et non à la gare atteinte. Esprits libres.
Spiritualité civile, laïque, posée sur la matérialité, dialectique
existentialiste et vitaliste retrouvant, dans un gai savoir, une
sagesse tragique.
Évaluer, considérer, comprendre, jouir de, partager... l’instant
fait moment, la situation, l’évènement. Faire œuvre d’art de son
existence et de chacun de ses moments.
Quoi d’étonnant alors à ce que Polanski soit un bon cinéaste
pour les uns, un violeur pour les autres, un cinéaste-violeur pour
d’autres encore, un très bon cinéaste qui a violé il y a bien137
longtemps ou un violeur qui fait des films de temps en temps,
une tout autre personne pour certains ? Je suis, et certains ne
me connaissent que comme, un danseur pour les uns, un
politique pour d’autres, un ami, un pauvre type, un épicurien, un
cynique, un amant, un cycliste, un philosophe, un amateur d’art,
un antiquaire... lors d’un repas c’était la « poésie » qui me
caractérisait aux yeux d’un convive. Ce qu’il avait vécu. Un art
vécu détermine ce que nous sommes. Les combinaisons sont de
mise, à la fois ami et politique, à la fois danseur, politique,
amateur d’art, porteur de cape selon et dans un certain ordre de
priorité. Ce qui aura marqué, aura fait évènement, aura existé.
Rejoindre ici Sartre considérant que l’existence précède
l’essence et que « Nous sommes ce que nous faisons de ce que
les autres ont fait de nous. »
Changer c’est devenir ce que l’on est dans cette multiplicité
évènementielle, dans cette action. Nous sommes la somme de
nos singularités, éléments, acteurs, artistes de l’évènement, de
l’action, de la situation, de l’existence comme œuvre d’art