16 Se défier de l’opinion majoritaire

Pour mener sa vie, accomplir un acte, avoir une opinion, adopter une attitude, il n’y a pas de voies tracées ou divines, ni de préceptes, de règles ou de maîtres. Nous sommes livrés à nous-mêmes, à notre culture, à notre expérience.
Pourtant il y a une précieuse indication qui nous indique parfois le mauvais chemin.
La voie suivie par le plus grand nombre, l’opinion du plus grand nombre, de la majorité, de la masse est souvent une mauvaise voie, une mauvaise attitude qu’il convient de ne pas suivre.
S’agit-il forcément adopter la voie exactement contraire ou d’aller toujours contre l’opinion du plus grand nombre ? Non, mais il s’agit de ne pas la suivre a priori.
Pourquoi la majorité a souvent tort nous menant dans une impasse ?
Considérons que l’identité d’un individu, d’un être et, a fortiori, d’un citoyen, se résume à sa singularité. C’est considérer l’existence comme une œuvre d’art et nous considérer comme des artistes de notre propre existence, des auteurs du roman de notre vie. Notre identité se résume et réside, pour ce qui la distingue, dans la somme de nos singularités. Le reste est soumission à un ordre établi dont la fonction est le plus souvent de tuer les singularités, les identités.
Comment se forge l’opinion publique, la pensée dominante ?
Par la somme des renoncements individuels, par l’aveuglement des foules, par le mimétisme, la lâcheté, la peur, l’idéologie, le conformisme, la mode, l’imitation, la cupidité et autres veuleries. Penser comme tout le monde c’est cesser de penser.
La masse est souvent lieu de perdition de l’être. Il convient de s’en distinguer autant que faire se peut, dans le cadre de la préservation de notre être et du bien commun. Cela n’est pas nécessairement héroïque. Parlons de vigilance, de prudence, d’authenticité, d’une vertu profonde, d’une générosité consistant à garder intacts notre singularité et notre engagement permanent.
L’artiste ne peut que se distinguer, il ne peut se fondre. L’œuvre d’art ne peut copier, elle est singulière et étonnante. Idem pour l’individu et/ou le citoyen artiste de sa vie et de sa cité.
La servitude volontaire consiste à croire, ou a feindre de croire de mauvaise foi, que l’opinion commune est une opinion qui nous appartient en propre qui garde intacte notre liberté et notre singularité. C’est renoncer à être soi, à être tout simplement, renoncer à se distinguer.
L’opinion commune se forge en tuant les singularités sur son passage et ne subsiste que le plus petit commun dénominateur d’une pensée assassine de ces singularités. L’opinion commune, majoritaire, du grand nombre, du pouvoir ou de la masse, est l’oraison funeste de notre singularité et de notre liberté. Elle doit être combattue le plus souvent, méprisée parfois, mise en doute toujours.
L’opinion majoritaire n’est en réalité pas une opinion réfléchie et fondée. Elle n’est pas humaine en ce qu’elle n’est que le moule, que le rouleau compresseur à broyer les identités, les opinions de chacun. Si l’intérêt général n’est, heureusement, jamais la somme des intérêts particuliers, l’opinion de la majorité n’est pas la somme des opinions individuelles mais seulement leur plus petit commun dénominateur, un appauvrissement. L’opinion majoritaire ne reflète aucune opinion individuelle sauf celle du guide suprême en cas de dictature.
L’opinion de la masse, dominante, de l’ordre établi, est un professeur par l’exemple négatif qu’il convient de ne pas suivre. Bonne indication pour mener sa vie.
Souvent l’opinion de la masse majoritaire, majorité silencieuse, conforte le pouvoir et nous devons résister et nous distinguer devant l’un et l’autre, dans un même mouvement réflexe et raisonné. Parfois la masse se heurte au pouvoir et nous sommes alors en présence de deux écueils, deux pièges : servir le pouvoir et ce serait un crime ; suivre la masse et ce serait une faute. L’effort existentiel consiste, quand les monstres s’entretuent à ne pas s’aligner sur l’un d’eux.
Les minorités méritent souvent notre faveur car elles sont le plus souvent opprimées par la majorité ou le pouvoir. Ce dans la mesure où elles n’ont pas une visée hégémonique ou identique à ce qu’elles combattent. Une guerre de religion est une guerre entre deux monstres. Un conflit entre un patronat cupide et un syndicat productiviste l’est autant. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis. Pour autant la juste revendication de conditions correctes et écologiques de production est une voie à suivre.
De nous-mêmes nous constituons une minorité et devons le rester.
Une excellente chose serait que les institutions fassent la part belle aux minorités. Une des conditions pour qu’une majorité soit légitime exige que les conditions de l’alternance existent pleinement c’est-à-dire qu’une minorité puisse aisément devenir la plus forte minorité à qui l’on confère un droit de gouverner par le correctif majoritaire que constitue le second tour majoritaire du scrutin mixte.
Parenthèse, et exemple dramatiquement proche, ce n’est en rien le cas sous la 5ème République avec son régime de monarchie présidentialiste tout à l’avantage des appareils partidaires de droite et de gauche ou des deux « en même mauvais temps », monstres politiques fondés sur le pouvoir personnel, illégitimes et qui cautionnent ce régime. Là, pas d’alternances véritables mais une succession de partis monarchistes au pouvoir.
Pour d’autres régimes, plus démocratiques sur ce point, en Allemagne ou en Scandinavie par exemple, cette condition est mieux remplie mais d’autres conditions manquent à l’appel. Ajoutons que la légitimité d’un pouvoir ne signifie jamais qu’il faille le suivre, le servir ou l’approuver forcément.

Dans une élection celui qui a voté pour le vainqueur doit prendre cela gravement et s’interroger sur sa part de servitude. Le plus souvent c’est une bonne nouvelle pour lui et le vainqueur mais une mauvaise nouvelle pour notre humanité. Autre exemple proche : tous ceux qui appartiennent à la majorité des abstentionnistes en France se vautrent à chaque élection dans la servitude volontaire passive mais bel et bien majoritaire. C’est devenu le comportement dominant servant l’ordre établi. Il est à combattre frontalement.
Dans une élection, plus l’opinion majoritaire domine et moins l’élection est démocratique. Les dictatures obtiennent des scores généralement écrasants.

Sur la veulerie politique
Lors des années 90 le Front Nazional, pourquoi tant de n ?, sortait une affiche intitulée tout simplement : « Vos idées sont les nôtres. »
On atteint là au paroxysme de la veulerie, de la lâcheté, de l’opportunisme, du populisme, de l’immoralité et de l’indignité politiques. Nous touchons là au cœur de la négation de la fonction du politique, de l’art politique, qui consiste à éclairer sur des idées nouvelles et non à conforter l’ordre établi et à s’y vautrer. Là, la volonté perverse de vouloir saisir le plus petit commun dénominateur de la masse se traduit par le plus grand degré d’abjection politique. Néofascisme à l’état pur, bestialité. D’ailleurs le meneur du FN a souvent lâché et revendiqué : « Nous sommes la petite bête qui monte, qui monte… » Entendez nous sommes la bête immonde s’appuyant sur la grande bêtise qui monte. Lorsqu’il dit « c’est un détail » c’est bien qu’il pense « c’est un bétail ». Il y a de la retenue dans sa déclaration… Ainsi les « sidaïques » rejoignent dans les mémoires les judaïques. Et sans limites dans l’abject, les « fédérastes », adjectifs insultant pour qualifier les partisans du fédéralisme, sont assimilés aux pédérastes. La fille marine tout cela en eSSeyant de gommer ce qui transpire sans ceSSe. « Cachez cette oriflamme néofasciste que je ne saurais voir » dit l’électeur pétainiste et qui en redemande. La flamme des néofascistes italiens du MSI est reprise intégralement par le FN-RN et le tricolore vert blanc rouge italien est remplacée par le tricolore français.

La composition vitale, existentielle et citoyenne, peut et doit affirmer sa singularité, l’afficher et la revendiquer autant que possible ou la cacher s’il s’agit de la préserver.

Pour autant doit-on refuser la démocratie ? Doit-on ne jamais côtoyer la majorité et ne jamais en faire partie ? Doit-on refuser de chercher à ce que nos idées soient un jour majoritaires ?
La démocratie, oui, mais laquelle ?
Oui à la démocratie vivante qui ne se paie pas de mots et qui ne cache pas une démocrature. Autant dire non à la monarchie présidentialiste de la 5ème République parfaitement et définitivement non démocratique.
La démocratie représentative élective devrait permettre d’avoir une Assemblée Nationale incarnant, autant que faire se peut, la volonté du peuple. La démocratie conseilliste du tirage au sort doit l’accompagner et la compléter.
Il y a majorité et majorité, majoritaire et majoritaire. Lorsque certains votent logiquement pour le « normal » Hollande pour dégommer le bling-bling agité Sarkozy, c’est soit en croyant au « changement maintenant » soit sans aucune illusion. Nous n’attendions rien de Hollande. Pour autant nous sommes du moment majoritaire de fait en votant Hollande contre Sarkozy. Mais cela ne constitue pas une adhésion à la majorité présidentielle. Nous restons une minorité dans la majorité. La majorité présidentielle croyait naïvement au « changement maintenant », pas nous. Nous n’appartenons pas à cette majorité de naïfs qui entend des voix et pourtant, le soir du vote, nous sommes majoritaires avec ces naïfs. Adhérer au « moment majoritaire » ne signifie pas adhérer à la « majorité ».
Par ailleurs, nous cherchons à être la plus forte minorité et à gouverner. C’est le sens du combat politique. Mais si nous devenons « majoritaires », plus forte minorité, sur nos idées, il conviendra de s’en défier et de chercher des idées nouvelles pour faire avancer cette majorité, pour qu’elle change et évolue. Il conviendra de soutenir les minorités novatrices qui émergeront, même et y compris dans un cadre où nos idées deviendraient « majoritaires ». Une « majorité » se juge à l’aune de son égard pour les minorités.
En Esprits Libres, nous reviendrons sur la nature et les conditions d’exercice de la 6ème République démocratique libérale-libertaire, distributiste, écologiste, européiste, fédéraliste et conseilliste, que nous préconisons afin que ladite « majorité » en fait plus forte minorité, opprime le moins possible et afin que la singularité de chacun soit préservée.
Les Esprits Libres conséquencialistes ne proposent pas un idéal mais un autant que faire se peut, un possible ici et maintenant.